jeudi 25 juin 2009

George l'Enchanteur

C'était le gîte de chez George, point de rendez-vous entre citadins et ruraux, voyageurs et sédentaires, nantis et dépravés. Trois étrangers s'y réfugièrent, dans cette auberge du 6e, entre la rue Saint-Sulpice et la rue du Four. L'effet de surprise fut grandiose dans le for des acolytes, car bien qu'ils franchirent une minuscule façade aux allures orphelines, le corridor intérieur s'étendait sur des dizaines et des dizaines de mètres et évoluait en une ruche sans fin, se séparant en petits salons alvéolaires. L'aubergiste nous accueillit d'un haussement de sourcil insistant, la vieillarde voyant pourtant passer des airs peu familiers depuis des lustres. Les gens suspendus à leur boc d'ale étaient, mis ensemble, d'une hétéroclité étonnante. Cet endroit contenait la vie de tout un village. Le trio tentait tant bien que mal de se frayer un chemin au travers des déambulations des clients quand le regard de la tête forte - tout à fait féminine - du groupe d'étrangers tomba sur un escalier qui s'enfonçait dans l'obscurité. De faibles rumeurs surgissaient quelques fois de l'endroit ou, un peu plus loin, s'évanouissaient les marches, avalées par le noir. Les pupilles de la demoiselle se dilatèrent comme sur le coup de la curiosité, et elles ne purent se détacher de cette descente invitante, quoique peu recommandable. Celle dont l'état hypnotique ne faisait plus de doute n'eut pas à penser, ses pas l'amenèrent à franchir les marches de bois en colimaces, et comme ses amis remarquèrent l'entrain que manifestèrent les pieds de la demoiselle, ils ne purent que les suivre. Ils devaient s'accroupir de plus en plus pour éviter de heurter les obstacles du plafond décroissant. La descente périlleuse dura plusieurs minutes, et à mesure qu'ils s'engouffraient, la mélodie le faisait aussi dans le creux de leurs ouïes engourdies. Des grondements sourds se mêlaient aussi à la chamade des coeurs des explorateurs, dont la curiosité ne s'était point affaiblie, mais qui, toutefois, n'oubliaient pas qu'il était dans la nature humaine d'avoir peur de l'inconnu et du noir. Cela faisait du même coup une peur exponentielle, car ils franchissaient là une contrée obscure bien inconnue. Mais quoiqu'il en soit, qui aurait un esprit aussi calculateur en un moment aussi crucial? Avec une intention toute naïve, ils s'étaient aventurés dans une cave peu commune. Sous la voûte de pierres d'un siècle passé s'entassaient de minuscules tables entourées de tabourets aux pattes grugées par la succession des soirées. Les trois étrangers se trouvèrent une voie à travers les danses et la folie générale, une folie particulière qui perdait toutes les âmes, celle qui, entre certains murs, est condamnée sans hésitation aucune. Les prochaines victimes s'installèrent inconsciemment sur une petite place haut-perchée, donnant une vue imprenable sur les festivités souterraines. Quelques instants plus tard, un verre de kir et deux pintes de rousse se partageaient la tablée des invités. Les chansons françaises résonnaient en eux comme un appel et avant longtemps cette sensation se transforma subtilement en vertige. Les jeunes coeurs s'emportèrent à la fantaisie d'une nuit, et tous étaient entre-mêlés, et tous étaient euphoriques, sous les voûtes de la cave de chez George, entre la rue du Four et la rue Saint-Sulpice.