L’étranger, donc, imite. Il s’applique, s’améliore, apprend à maîtriser de mieux en mieux la langue d’adoption…Subsiste quand même, presque toujours, en dépit de ses efforts acharnés, un rien. Une petite trace d’accent. Un soupçon, c’est le cas de le dire. Ou alors…une mélodie, un phrasé atypiques…une erreur de genre, une imperceptible maladresse dans l’accord des verbes…Et cela suffit. Les Français guettent…ils sont tatillons, chatouilleux, terriblement sensibles à l’endroit de leur langue…c’est comme si le masque glissait…et vous voilà dénoncé! On entraperçoit le vrai vous que recouvrait le masque et l’on saute dessus : Non, mais…vous avez dit « une peignoire »? « un baignoire »? « la diapason »? « le guérison »? J’ai bien entendu, vous vous êtes trompé? Ah, c’est que vous êtes un ALIEN! Vous venez d’un autre pays et vous cherchez à nous le cacher, à vous travestir en Français, en francophone…Mais on est malins, on vous a deviné, vous n’êtes pas d’ici… «Vous êtes d’origine allemande? anglaise? suédoise? » Je le fais moi aussi, je l’avoue, dès que je détecte un accent dans la voix de quelqu’un, je le fais, tout en sachant qu’ils en sont sûrement las comme moi j’en suis lasse, qu’ils ont subi dix mille fois ce même interrogatoire débile, ennuyeux, blessant : « Vous êtes allemand? Non? Hongrois? Chilien? » Which country? comme on dit en Inde. Non seulement cela mais, dès que vous la leur fournissez, cette information se cristallisera dans leur esprit, se figera, deviendra votre trait le plus saillant, la qualité qui, entre toutes, vous définit et vous décrit. Vous serez la Russe, Néo-Zélandais, le Sénégalais, la Cambodgienne et ainsi de suite (un magazine respectable a récemment qualifié la cinéaste Agnieska Hollande de « Polonais de service » ; un autre a cru élégant de commencer une critique d’un de mes livres par la phrase : « Elle est morose, notre Canadienne »)…alors que, bien sûr, chez vous, votre nationalité était l’air même que vous respiriez, autant dire qu’elle n’était rien.
----- N’avez vous pas déjà eu le sentiment de lire un passage d’un livre ou d’un texte relevant des pensées que vous n’aviez jamais eues de manière si articulée, mais qui exprimait précisément ce que vous ressentiez?
Bien que mon exil en Europe fut comme une peanut à côté de celui de Mme Huston, je me suis reconnue. Serait-ce une particularité bien clairement française que d’adopter cette approche envers les étrangers? Ou bien existerait-elle réellement dans toutes les sociétés occidentales, où l’immigration est fréquente?
chapeau! si on parlait tous l'esperanto on n'aurait pas ce genre de problème ;)
RépondreEffacerton chèr simon :)
L'exil volontaire est-il un véritable exil? Je crois que ce phénomène de signalement de la différence est universel. Et, pour l'avoir entendue en conférence à l'UQAR, mme Huston, toute écrivaine extraordinaire qu'elle soit, est une essayiste un peu parano. :)
RépondreEffacerOxy